Sommeil et médecine générale

"Dormir peu, dormir mieux, vivre mieux."

Accueil > Accueil > Médecine générale > Troubles fonctionnels > Troubles fonctionnels

Troubles fonctionnels

"Seigneur ! je suis en détresse : le chagrin me ronge les yeux, la gorge et le ventre ..."
(Psaume 31,10 dans la Bible)

, par guilhem

Toutes les versions de cet article : [English] [français]


Le terme de "trouble fonctionnel" regroupe l’ensemble des symptômes qui n’ont pas de cause médicale clairement identifée (par opposition aux "troubles lésionnels" qui eux, traduisent une maladie organique).
Ce diagnostic dit "d’élimination" est difficile à déterminer et il n’est posé qu’à l’issue de coûteux bilans qu’impose "l’obligation de moyens" (inscrite dans le code de déontologie) à laquelle doit recourir tout médecin avant de se prononcer.
Mais ici, malgré la plainte très réelle du malade, les examens complémentaires ne sont pas contributifs, et les traitements dits "symptomatiques" sont souvent décevants.
Les "troubles fonctionnels" sont des problèmes de santé qui restent sans réponses.

La plainte de fatigue y est toujours associée.
Selon notre hypothèse, il se pourrait que les "troubles fonctionnels" soient consécutifs à une baisse d’efficacité du sommeil.


Les troubles fonctionnels présentent des caractéristiques cliniques et somnologiques spécifiques très évocatrices.

Les "troubles fonctionnels" peuvent affecter n’importe quelle région du corps :

On les dit "ubiquitaires".

  • La tête : est le siège de très nombreux troubles fonctionnels : troubles oculaires, vertiges, migraines, acouphènes, dystonies...
  • Le thorax est le siège de douleurs présumées cardiaques et de sensations de manquer d’air.
  • L’abdomen est très riche en symptômes que le sens commun rattache à la fatigue. Ces troubles fonctionnels intestinaux sont l’objet de beaucoup de publications médicales mais le sommeil y est insuffisamment pris en compte.
  • Le pelvis est, comme l’abdomen, le siège de nombreux troubles qui intéressent les fonctions urinaires (vessie instable), sexuelles, ou digestives (hémorroïdes, démangeaisons, fissures...).
  • Le système locomoteur regroupe des douleurs du rachis (lombalgies, dorsalgies, sciatiques) et de nombreux rhumatismes et tendinites difficiles à soigner et d’évolution capricieuse (canal carpien, défilé des Scalènes "côte surnuméraire", Osgood Schlatter, spondilodisthésis, syndrome de Tietze, névralgie d’Arnold...).
    La notion très médiatique de "Troubles Musculo-Squelettiques (TMS)" mise en rapport avec de mauvaises conditions de travail nous semble pouvoir être de cette nature.
  • La peau exprime la fatigue (comme tous les organes richement innervés), par des fourmillements, démangeaisons, éruptions, acné, chute de cheveux, hypersudation, syndrome de Raynaud...

Ils réunissent les quatre caractéristiques cliniques suivantes :
inquiétants, handicapants, capricieux, de bon pronostic.

  • Ils sont inquiétants  : même les sujets les plus "réfractaires" au corps médical (qui n’ont p.e. pas de "médecin de famille"), finissent par consulter, souvent en urgence, lorsque leurs réticences s’effondrent.
  • Ils sont handicapants : ils induisent une multiplication des consultations spécialisées (coûteuses et/ou douloureuses) qui conduit à une "escalade thérapeutique" pouvant entraîner des complications médicamenteuses ou chirurgicales.
  • Ils sont capricieux  : le fait de ne pouvoir ni en mesurer l’objectivité ni de dépister quelque anormalité au cours des examens complémentaires (mais attention aux biais...), conduit à envisager un mécanisme "psycho-somatique" anxio-dépressif voire "imaginaire".
    Par ailleurs, cet échec de la médecine conventionnelle (l’inefficacité du "modèle hippocratique" à savoir : un symptôme traduit une lésion), explique la méfiance du patient et son engouement pour les médecines dites "alternatives".
    Davantage à l’écoute de ces vrais malades, les pseudo-sciences ne s’avèrent pourtant objectivement pas plus efficaces. Certains sujets y trouvent néanmoins un "soulagement" réel... En effet, la pseudo-réponse qu’ils y trouvent les retient de sombrer dans le désespoir.
  • Ils sont de bon pronostic : heureusement, et contrairement à la plupart des maladies chroniques (comme le diabète, l’arthrose ou l’artériosclérose...), les troubles fonctionnels ne s’aggravent jamais et guérissent pratiquement tous à long terme.
    La migraine, la colopathie, la lombalgie chronique, le torticolis, les palpitations et les acouphènes (etc.) disparaissent spontanément avec l’âge (ce ne sont plus des motifs de consultation en maison de retraite).

Ils réunissent les deux caractéristiques somnologiques suivantes :
clinophilie et sommeil non réparateur.

  • Clinophilie :
    Ce terme désigne le besoin plus ou moins permanent de s’allonger pour se reposer dès que cela est possible (et même parfois en urgence).
    Une des caractéristiques de ces "coups de barre" est qu’ils surviennent tout particulièrement en fin d’après midi. La personne se sent obligée de se re-poser à ce moment de la journée qui est paradoxalement en contre-phase avec les "portes naturelles du sommeil", ou "sleep gates" (cf. Savoir dormir->spip.php ?article10]), qui s’ouvrent à deux moments de la journée : autour de 15h et autour de 02h, lorsque le niveau de la vigilance et de la température corporelle baissent.
    En clair :
    • Si le sujet manquait de sommeil, il bâillerait et ressentirait un besoin de dormir (sensation de somnolence) avec une intensité maximale entre 13h et 15h, ou durant la soirée,
    • au contraire de celui qui souffre de fatigue, et qui va devoir s’allonger en fin de matinée ou vers 18h-19h, c’est-à-dire à une période de la journée ou le corps est normalement très éveillé.
      Cf. "Devoir dormir".


    Il faut insister ici sur les différences fondamentales qui existent entre la sensation de somnolence et celle de fatigue . Les échelles utilisées en médecine du sommeil pour mesurer leurs intensités respectives ne comportent d’ailleurs pas du tout les mêmes questions (Cf. Questionnaires de médecine du sommeil).

  • Troubles du sommeil :
    les troubles du sommeil sont de nature très diverse selon le stade de la maladie, mais l’impression d’un sommeil "non réparateur" est partagée par les malades.

      Cette fatigue contraste pourtant avec l’absence de somnolence (Cf. Échelle de somnolence d’Epworth). On est en présence
    • - soit d’une pseudo hypersomnie (au début), parce que le sujet a tendance à rallonger son temps de sommeil pour tenter de compenser la fatigue du matin. Lorsque le trouble remonte à l’enfance, le malade se juge (à tort) "gros dormeur". Ailleurs, il s’accorde à penser que le sommeil lui est très "précieux", ce qui constitue insidieusement le début d’une "insomnie de performance",
    • - soit d’une insomnie de maintien avec polyurie nocturne (besoin fréquent d’aller uriner la nuit) et éveil trop précoce (aggravée par une tendance à se coucher de plus en plus tôt pour arriver à se reposer),
    • - soit d’une insomnie d’endormissement, à un stade plus avancé du "vouloir dormir". Le besoin de dormir est alors tellement prégnant que la motivation à dormir devient, en elle-même, éveillante.

Ce que l’on sait en médecine du sommeil :

La fibromyalgie (maladie mentionnée dans la classification internationale des troubles du sommeil depuis 1992) fait l’objet de nombreuses publications scientifiques.
Les laboratoires de sommeil, en collaboration avec les entreprises concernées par les rythmes de travail atypiques (aviation, transport, militaires ...), ont mené des études qui démontrent que le déphasage des horloges biologiques provoque des troubles fonctionnels neurodystoniques.
La position de l’Académie Nationale de Médecine dans son bulletin de la séance du 16 janvier 2007 souligne bien les rapports entre le syndrome fibromyalgique et les troubles fonctionnels.
« L’anxiété et la dépression déclenchent une cascade d’altérations des fonctions neuro-endocriniennes et immunitaires, et prédisposent à toute une série de maladies physiques. » (OMS, rapport 2001 sur la santé dans le monde).

  • Les malades qui souffrent de fibromyalgie ou de fatigue chronique présentent tous un grand nombre de ces troubles fonctionnels.
    On sait par ailleurs que leur sommeil (systématiquement ressenti comme "non réparateur"), comporte souvent des anomalies de structure. Les enregistrements (EEG) de l’activité cérébrale montrent la présence de signaux d’éveils (ondes Alpha) qui se surajoutent au sommeil lent (Delta) réalisant un aspect « Alpha-Delta ».
     [1]
  • Certaines situations où le sommeil est perturbé provoquent un tableau très voisin de la fibromyalgie, associant à différents degrés : fatigue, troubles fonctionnels et douleurs multiples. Il est connu sous le terme de "syndrome de désynchronisation interne".

    Les travailleurs mal adaptés aux horaires décalés (travail de nuit ou posté), souffrent de cette désynchronisation des horloges biologiques et se plaignent de nombreux troubles fonctionnels.

    Les personnes subissant des décalages horaires par vols transméridiens répétés (pilotes de lignes, hôtesses, stewards) souffrent d’un tableau identique : le « jet lag ».
  • Expérimentalement, certains sportifs en interruption d’entraînement présentent une dégradation de leur sommeil lent qui s’accompagne des mêmes symptômes fonctionnels. (Les grands sportifs eux-mêmes reconnaissent souvent qu’ils se sentent mal lorsqu’ils doivent arrêter brutalement l’entraînement).
  • Expérimentalement, les situations de "bed rest" (expériences de repos forcé au lit, pratiquées en ce moment, pour la recherche spatiale), conduisent souvent à des tableaux de troubles fonctionnels similaires.
  • Les travailleurs de nuit (médecins des urgences par exemple), observent souvent des troubles fonctionnels mineurs similaires (troubles digestifs, poussées hémorroïdaires, torticolis ou autres douleurs musculo-tendineuses, palpitations ou céphalées ) qui suivent chaque garde difficile.


Sommeil et médecine générale ?
Le concept de "somnicologie

JPEG - 15.8 ko
Mandryka (Les aventures potagères du Concombre Masqué)


« Je n’y voit rien de haut ! Je suis sourdingulé et mes réflexes sont moulus »...


Selon nous, la plupart des troubles fonctionnels rencontrés en médecine générale sont en relation avec un problème d’inefficacité du sommeil.
Le concept "d’hyposommeil" que nous présentons ici stipule que le sommeil est le moteur de la maladie : une perturbation de l’efficacité du sommeil se manifesterait par l’apparition des troubles fonctionnels selon un cortège de tableaux successifs relativement stéréotypés, allant de la simple recherche de fortifiants jusqu’au syndrome de fatigue chronique.
Ce point de vue a été avancé dès les premières descriptions de la maladie par le Pr Modolwsky (1981) et on peut l’observer dans le cas du "jet lag". [2]


Il semble qu’il existe un véritable continuum physio-pathologique entre les premiers troubles fonctionnels (signes de fatigue) et l’apparition de symptômes plus inquiétants comme les douleurs multiples, les crises de « spasmophilie » et/ou la fatigue chronique.
Nous décrivons cette succession de signaux d’alarme (cf.) comme un "train " d’étapes cliniques, caractéristiques du parcours du combattant de ces véritables malades que certains ont qualifiés de "sans papiers de la médecine".

Ce concept pose les bases de la "somnicologie" : l’application des règles de la médecine du sommeil et de la chronobiologie, à la compréhension et au traitement des troubles fonctionnels.
La prise en compte des notions d’équilibre chronobiologique et d’hygiène du sommeil conduit à une alternative thérapeutique susceptible d’aider les malades à mieux comprendre et appréhender un grand nombre de leurs symptômes.

L’efficacité de la prise en charge repose sur la compréhension des mécanismes du sommeil.
Une étape de formation du patient ("apprendre à dormir") est indispensable avant l’utilisation des "somnicaments" (les médicaments du sommeil : la lumière, le sport, la chaleur, la vie sociale et le plaisir) capables d’influencer les réglages de l’équilibre du sommeil.
La sieste (Cf.) est ici plutôt contre-indiquée (contrairement au situations de somnolence excessive).

Une démarche diagnostique et thérapeutique, centrée sur les connaissances en chronobiologie, placerait la relation médecin-malade sur un terrain de collaboration plus pragmatique et plus efficace que celui du médicament placebo ou des paroles rassurantes.


Une nouvelle approche s’avère nécessaire alors que ces pathologies fonctionnelles considérées comme "bénignes", témoignent d’un réel problème de fatigue et portent donc en elles les germes de l’insomnie.

Finalement...

Les caractéristiques des troubles fonctionnels neurodystoniques sont semblables à celles des perturbations observées en médecine expérimentale du sommeil.
Les situations de désynchronisation des horloges biologiques montrent que tout se passe comme si la décompensation d’un déficit d’efficacité du sommeil devait se traduire physiquement, à la conscience, par une douleur ou un trouble fonctionnel.
Nous proposons de considérer ces troubles comme des symptômes "somnosomatiques" (voir les néologismes du site).

La prise en compte des implications du sommeil en médecine générale pourrait permettre de regrouper l’ensemble des troubles fonctionnels dans un nouveau syndrome : le "syndrome d’hyposommeil". [3]
D’après nous, la "somnicologie" est une voie thérapeutique alternative pour de très nombreux malades qui ne répondent aux critères médicaux classiques :
"les "mauvais" malades qui ont sans cesse mal quelque part..." ;
"les "trop bons" malades qui consomment sans cesse des remèdes"...

Retour à l’accueil.


JPEG - 1.6 ko
Quelques liens externes pour en savoir plus...
  • Symptômes physiques médicalement inexpliqués ("Statistique Canada" ; Voir les pages 49 à 54. Rapports sur la santé, vol. 18, no 1, février 2007).
  • Les TMS par l’Institut Universitaire de Santé au Travail (Faculté de Médecine de RENNES- FRANCE). Un bon topo mais aucune allusion au rôle du sommeil en dehors de l’évocation de "facteurs de susceptibilités individuels" (Nda.)

[1Le sommeil Alpha-Delta n’est pas spécifique aux patients fibromyalgiques. Il a été mis en évidence dans d’autres situations (chez des sujets en manque de sommeil ou en dépression nerveuse).
Ce type de résultat n’est donc pas un critère suffisant à lui seul pour poser un diagnostic mais devrait orienter le malade vers les pistes que peut proposer la médecine du sommeil.
Retour au texte.

[2L’œuf ou la poule ?
Dans la littérature médicale actuelle, les "troubles du sommeil" sont généralement évoqués parmi les signes cliniques provoqués par la maladie.

Selon ce point de vue que nous ne partageons pas, les maladies comme le syndrome de fatigue chronique, la fibromyalgie ou la dépression, seraient à l’origine d’un trouble du sommeil (insomnie ou somnolence ?).
Il nous semble au contraire éclairant de placer les troubles chronobiologiques du sommeil en amont des signes cliniques, et non en aval.

Retour au texte.

[3NB. Le "syndrome d’hyposommeil" n’est pas un terme médical officiel et reconnu.
Il s’agit d’un des néologismes que nous proposons pour répondre à certaines lacunes du vocabulaire de la médecine du sommeil.
Retour au texte.