"Le traitement des insomnies dépressives repose avant tout sur celui de la dépression."(Dr P.Delbrouck)
(Nda. Mais... l’inverse ne pourrait-il pas être vrai ?).
La dépression est caractérisée par un sentiment de tristesse et un regard anormalement critique et négatif sur soi-même et sur le monde. Cet éclairage lucide mais pessimiste de la réalité est pathologique lorsqu’il est permanent et qu’il se prolonge plusieurs semaines, donnant au malade l’impression qu’il n’a pas droit au bonheur.
Les limites entre certaines formes de dépression et les différents aspects de la fatigue sont encore sujettes à discussion.
Pour autant, il est intéressant, dans tous les cas, de faire le point avec un médecin car les troubles du sommeil et le syndrome dépressif entretiennent des relations étroites et complexes :
1°). La correction des troubles du sommeil améliore l’humeur ;
2°). Le traitement des troubles de l’humeur se manifeste précocement par une amélioration objective du sommeil ;
Il est admis que l’insomnie peut faire partie des mécanismes de défense contre la dépression.
Ainsi, certains traitements intempestifs de l’insomnie par un "somnifère" peuvent, paradoxalement, fragiliser le sujet et contribuer à la décompensation d’une dépression sous-jacente.
Nb. Voir aussi l’article sur le site "Échelle de Beck pour le diagnostic différentiel de la dépression".
Critères internationaux du DSM IV de la dépression :
(Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 4eédition)
Selon certains auteurs, en médecine générale, ce test pourrait être remplacé par deux ou trois questions : (Sources G.R.A.S.)
« Durant le mois écoulé, avez-vous été préoccupé par votre humeur ? »
« Durant le mois écoulé, avez-vous perdu de l’intérêt ou du plaisir pour vos activités ? »
Ces questions ont une sensibilité de 96% (96% des malades sont positifs) et une spécificité de 57% (57% des positifs sont malades) pour les patients déprimés pour qui l’usage de substances nocives (alcool drogues) a été exclu.
Une troisième question : « Désirez-vous être aidé ? » augmente la spécificité sans modifier la sensibilité du test (LOWE 2004). Ces trois questions ont dès lors une sensibilité et une spécificité raisonnables pour détecter la dépression majeure.
"J’ai perdu tout plaisir pour mes activités car je trouve que je ne suis plus bon à rien."
"J’ai l’impression que ma situation est sans espoir.",
"Je me sens plus triste que les gens autour de moi."
D’autres auteurs (GREIVER 2005) proposent un test facile à réaliser en moins de 3 minutes et validé pour le dépistage, le diagnostic, l’évaluation de la réponse thérapeutique et la détermination de la rémission :le Patient Health Questionnaire (PHQ-9)
On distingue (un peu arbitrairement) deux types de dépression sévère :
Les critères de la dépression légère à modérée sont à l’origine de nombreuses confusions.
De nombreuses études suggèrent que les critères actuels ne sont pas assez spécifiques. "La moitié des personnes consommant des antidépresseurs et plus des deux tiers de celles utilisant des somnifères et des anxiolytiques ne présentent pas de trouble psychiatrique relevant d’une indication reconnue ; inversement, moins d’une personne sur trois souffrant de dépression bénéficie d’un traitement approprié" ((Inserm et université Bordeaux-II)
Les échelles de dépression les plus utilisées pour constituer des cohortes statistiques et mesurer l’efficacité des traitements présentent, selon nous, des biais importants puisque de nombreuses propositions (items) concernant la fatigue, les "préoccupations anxieuses" et les troubles fonctionnels y sont considérés comme des éléments en faveur de la dépression.
Selon notre expérience, le questionnaire suivant (de Pichot-Brun) est un bon test pour le dépistage des états dépressifs.
Si vous répondez "vrai" à certaines questions, parlez-en à votre médecin.
J’ai du mal à me débarrasser de mauvaises pensées qui me passent par la tête | vrai | faux |
Je suis sans énergie | vrai | faux |
J’aime moins qu’avant faire les choses qui me plaisent ou m’intéressent | vrai | faux |
Je suis déçu et dégouté par moi-même | vrai | faux |
Je me sens bloqué ou empêché devant la moindre chose à faire | vrai | faux |
En ce moment je suis moins heureux que la plupart des gens | vrai | faux |
J’ai le cafard | vrai | faux |
Je suis obligé de me forcer pour faire quoi que ce soit | vrai | faux |
J’ai l’esprit moins clair que d’habitude | vrai | faux |
Je suis incapable de me décider aussi facilement que de coutume | vrai | faux |
En ce moment, je suis triste | vrai | faux |
J’ai du mal à faire les choses que j’avais l’habitude de faire | vrai | faux |
En ce moment, ma vie me semble vide | vrai | faux |
Ref : ESS , QD2A (1984 - Pichot), ADA-Asthénie (1984 - Pichot-Brun).
Voir les articles du site :
Selon l’opinion générale, la dépression se traduit dans plus de 80% des cas par une insomnie.
L’endormissement est retardé par l’irruption d’idées noires malgré la fatigue qui pousse le sujet à se coucher tôt, et le sommeil est entrecoupé de nombreux éveils aboutissant à un réveil matinal trop précoce.
L’inhibition qui caractérise la maladie et la fatigue qui l’accompagne poussent le sujet à rester allongé le plus fréquemment possible. L’entourage interprète parfois cela pour de la somnolence diurne excessive mais ce sommeil se produit au détriment du sommeil nocturne (absence de pression de sommeil "H").
Même en dehors de somnolence diurne perceptible, la sédentarité du sujet favorise de nombreux micro-éveils (invisibles) et contribue à dégrader la qualité et la continuité du sommeil nocturne.
Il y a là les éléments d’un cercle vicieux que l’entraînement à des activités d’éveil peut contribuer à briser.
Il est tout a fait regrettable que la nouvelle législation (2007) sur les arrêts de travail en France ne rende plus possibles les "sorties libres" pour les malades en dépression (et/ou fatigués).
Le maintien en inactivité forcée à domicile d’un malade déprimé en arrêt de travail est selon nous un véritable scandale.
L’enregistrement polysomnographique du sommeil des patients hospitalisés pour des dépressions graves montre une importante désorganisation de l’architecture macroscopique et microscopique du sommeil :(Cf. "Iconographie du sommeil"
perte de la décroissance de l’activité en ondes lentes au cours des cycles de sommeil, avec diminution globale mais rebond anormal de sommeil lent (SL) au deuxième ou au troisième cycle.
"désinhibition du sommeil paradoxal" (SP), avec raccourcissement anormal de son délai d’apparition qui peut survenir dès l’endormissement (qui est normalement d’au moins 60 mn). Cette première phase de sommeil paradoxal est, contrairement à l’habitude, la plus longue.
On mesure une augmentation relative du pourcentage en SP dans le sommeil du sujet déprimé.
Le premier cycle de SP est anormalement riche en mouvements oculaires rapides (les MOR, qui caractérisent le SP) et on note une inversion du rythme (normalement croissant) de leur intensité au cours de la nuit.
"Il existe, dans le cerveau des patients dépressifs, une diminution de la sécrétion de la sérotonine (et de la noradrénaline) et une augmentation de l’acetylcholine (qui est responsable de l’augmentation du sommeil paradoxal).
De nombreuses études mettent l’accent sur le rôle de nouveaux neuromédiateurs comme la substance "P" , la leptine ou le système, encore mal connu, des encocannabinoïdes.
Chez l’homme, la privation de sommeil a un effet antidépresseur immédiat car les neurones sérotoninergiques sont très actifs à l’éveil.
De plus, il a été prouvé que l’insomnie précède la dépression et non l’inverse. Ainsi, l’insomnie pourrait être une sorte d’automédication d’une dépression latente.
Mais il existe une rechute importante de la dépression dès le premier sommeil récupérateur.
On préconise donc d’associer une privation de sommeil d’une nuit par semaine pour accélérer et améliorer l’effet thérapeutique des antidépresseurs ISRS en prise régulière.
Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) sont les antidépresseurs (dits de nouvelle génération), qui agissent en augmentant la sérotonine cérébrale par un mécanisme qui nécessite au moins 2 à 4 semaines, et expose à un risque de sevrage en cas d’interruption brutale (il est important d’en prévenir le patient).
Leur efficacité est comparable aux antidépresseurs de première génération mais ils sont bien mieux supportés (peu de somnolence ou de prise de poids).
Ils sont évalués cliniquement au travers des questionnaires subjectifs de type MADRS ou HAM-A (Cf. "Tests psychologiques"), par comparaison des précédents scores obtenus au début du traitement.
Malgré leur succès commercial incontestable, les agences de médicaments semblent s’interroger sur leur intérêt réel.
Sur les enregistrements polysomnographiques, le sommeil s’améliore objectivement sous l’effet d’un traitement efficace. On observe notamment un retard dans l’apparition de la première phase de sommeil paradoxal et une relative amélioration de l’architecture du sommeil profond.
L’agomélatine est le premier médicament agissant sur les récepteurs à la mélatonine (récepteur MT1 et MT2 ). Il devrait être indiqué dans le traitement des états dépressifs majeurs.
[3]
Selon les données présentées (par le Pr Montgomery [4]) lors du 13e Congrès de l’Association européenne de psychiatrie, il comporterait de nombreux avantages par rapport aux thérapies actuelles (moindres effets secondaires -troubles sexuels, prise de poids- et absence d’effet rebond au sevrage).
Selon le Dr Guilleminault (spécialiste du sommeil à Stanford) [5], en plus d’être un antidépresseur efficace, l’agomélatine semble pouvoir améliorer la structure du sommeil sans entraîner de somnolence diurne. (Le médicament est actuellement en Phase III d’évaluation clinique en Allemagne) et a déjà présenté un dossier d’inscription à l’Agence européenne pour l’évaluation des médicaments).
Les recherches sur la dépression suggèrent qu’une approche chronobiologique visant à améliorer l’efficacité du sommeil est de nature à améliorer la dépression.
(Sommeil et dépression .
Inversement, en cas de dépression avérée, l’amélioration subjective et objective du sommeil est un gage de l’efficacité du médicament utilisé.
En cas de dépression "légère à modérée" l’hygiène de vie semble montrer une efficacité supérieure aux médicaments antidépresseurs qui se présentent comme des "pilules du bonheur".
De nombreuses études récentes attestent de l’efficacité antidépressive de l’activité physique modérée (30 minutes de marche seulement), de la lumière et du plaisir.
Avec les techniques de privation de sommeil, ces éléments font partie des "somnicaments" (Cf.) qui sont au centre de la prise en charge chronobiologique de l’insomnie et de la fatigue.
Il y a là des éléments de réflexions sur la position de la médecine du sommeil (la somnologie) qui se situe à la frontière de la médecine générale et de la psychiatrie.
Le concept de "somnicologie" (Cf : "Néologismes pour \") suggère une dimension plus large à la médecine du sommeil qui s’impose, selon nous, comme "le chef d’orchestre" de l’équilibre physique, psychique et social de l’individu.
[1] "Les "troubles mentaux" représentent le quatrième poste des dépenses pharmaceutiques et se situent - avec 122 millions de boîtes vendues en 2005 - au deuxième rang en termes de prescriptions".
"Près de 65 millions de boîtes d’antidépresseurs sont vendues chaque année dans l’Hexagone (nous sommes les champions d’Europe). Soit deux fois plus qu’en Italie, Allemagne et Grande-Bretagne.
Le Monde du 10 juin 2006
[2] L’index d’efficacité du sommeil (IE) est le rapport du temps passé effectivement à dormir sur le temps passé en position couchée. Il prend en compte tous les éveils au cours de la nuit. l’IE normal n’est jamais supérieur à 90% compte tenu des micro-éveils normaux qui surviennent tout au long du sommeil, souvent à l’insu du dormeur ...)
[3] "L’efficacité antidépressive de Valdoxan a été démontrée à la dose de 25 mg le soir, dans le cadre d’une étude de dosage réalisée sur des troubles dépressifs majeur (MDD). Ce médicament aurait réduit la note, sur l’échelle de dépression de Hamilton (HAMD) dans une proportion comparable à celle de l’ISRS paroxétine. Des études plus poussées, par rapport à un placebo et à un comparateur, ont confirmé l’efficacité de Valdoxan chez des adultes de tout âge, y compris des personnes souffrant de dépression grave et de dépression due à l’âge. Les résultats d’une autre étude clinique à Munich, présentés ici, révèlent que Valdoxan a eu un effet semblable à l’ISRN venlafaxine".
Source : Montgomery SA, Kennedy SH, Burrows GD, Lejoyeux M, Hindmarch I. Int Clin Psychopharmacol. 2004 ; 19 :271-280
[4] Professeur Stuart Montgomery de l’Imperial College School of Medicine à Londres.
[5] Christian Guilleminault, MD, de la Sleep Disorders Clinic (clinique des troubles du sommeil) de l’Université Stanford, en Californie
[6] Le risque de rechutes est relativement élevé : 50 % après un premier épisode, 70 % après un second, 90 % après 3 épisodes.